Sissy impératrice

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On sait à présent ce qui fait bouger les miches des vampires de Louisiane lors de leurs nuits de débauche : la Bounce Music.

Cette forme de rap originaire de Nouvelle-Orléans domine littéralement la radio et la street culture locale depuis plus de 15 ans. C’est la musique des blocks party, des clubs, et il paraît qu’à Nola, on peut entendre le son de la bounce sortir d’une voiture sur trois.

Niveau son, cela donne quoi ? Deux doigts de dancehall jamaïcain, un trait de Miami Bass, quelques samples hypnotiques et des instructions de danse beuglées à l’oreille des danseurs. Pour ce qui est de la façon de danser justement, si “bounce” veut dire rebondir en anglais, on imagine aisément ce qui “rebondit” quand on danse la bounce !

Mais le plus intéressant dans tout ça, c’est que ce mouvement au départ très bling-bling et couillu a fini par trouver son pendant queer : la Sissy Bounce (en anglais, “sissy” = “efféminé”, ou carrément “chochotte”).

Le mouvement émerge à la fin des années 90, quand un MC adepte de cross dressing et figure de la bounce locale, Katey Red (auteur de “Drag Rap”, titre-pierre d’angle du genre), se met à rapper sa vie et ses amours homosexuelles dans les “not-so-easy” ghettos black de “Big Easy” (c’est ainsi que l’on surnomme parfois la ville).
Cela donne “Punk under pressure” (“Punk” pour “Gay” en argot), le premier hit Sissy Bounce. Katey signe sur le label Take Fo’ et sortira plusieurs albums.

Alors qu’en dehors de Louisiane on se demande bien comment on peut être un rappeur ouvertement gay, qui non seulement coexiste paisiblement au sein de la scène souvent homophobe du rap sudiste, mais qui en plus casse la baraque, la Sissy Bounce creuse son sillon et est devenu un vrai phénomène. Déjà stars locales, les artistes du mouvement voient petit à petit leur succès s’étendre bien au-delà des frontières de Louisiane.

Le (la) plus populaire : Sissy Nobby. Numéro 1 des radios locales avec sa ballade “Consequences”, et plus de 10 millions d’écoutes sur sa page Myspace (!), Nobela, comme elle se surnomme, est certainement l’un des rappeurs les plus populaires du moment !

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Autre figure emblématique du mouvement : Big Freedia, et son tube “Gin In My System”. Si vous entrez quelque part à Nola et criez “I got that gin in my system!”, on vous répondra immédiatement “Somebody gon be my victim!”, parait-il (ça fait un peu loin pour vérifier, mais si je vais un jour en Louisiane, j’y penserai, promis).
Lil’ Wayne (star du crunk, bien connu pour son attitude homophobe), a d’ailleurs “emprunté” les paroles de Freedia dans son single le plus récent !

Bien évidemment, tout n’est pas si rose bonbon, et même si les acteurs de la scène Sissy sont intégrés (Freedia dirige une société de déco qui s’occupe du bal du Mardi Gras de la mairie depuis 4 ans !), des détracteurs ne se gênent pas pour ouvrir leur grande bouche. Parce que justement, ces rappeurs queer ne sont pas restés enfermés dans les clubs homosexuels. Leurs chansons qui parlent de sexe gay, de prostitution masculine et de violence physiques passent à la radio, sont jouées dans quasiment tous les clubs, dans toutes les soirées que compte la Nouvelle-Orléans. Les fêtes où ils se produisent attirent un public de tout poil et de tout horizon.
Certains acteurs de la scène bounce ont peur d’être pris pour des pédés, des parents de bonne famille s’insurgent, d’autres encore clament qu’ils ne danseront jamais sur de la Sissy Bounce (si j’étais eux je ne dirais pas “Fontaine, je ne boirai pas de ton eau”, mais bon !)
Bref, la scène Sissy en dérange plus d’un.

3951700824_84290a61f2Autre fait qui peut ajouter au trouble : le genre des rappeurs de Sissy Bounce reste flou. Dans certains articles, on donne du “elle”, dans certains du “il”. Certains les disent gays et / ou travestis, d’autres les disent trans ou encore lesbiennes ! Et en fait, on s’en fout. Et c’est peut-être ce qui rend ce mouvement si intéressant : le refus de s’identifier à un genre, tout en restant soi-même.

Parce que bon, honnêtement, musicalement parlant, la voix éraillée de Sissy Nobby et les rythmes parfois brouillons peuvent paraître un peu arides à nos oreilles (les miennes ne s’y sont pas encore totalement habituées en tout cas, mais ne renoncent pas pour autant) : la bounce reste avant tout une musique de fête, une musique qui se joue et se danse live. Il n’y a qu’à regarder une vidéo pour s’en rendre compte : l’énergie déployée par Sissy Bobby, Big Freedia et les autres est phénoménale, et serait capable de faire bouger frénétiquement les culs les plus serrés !

Et en attendant l’arrivée de folles soirées Sissy Bounce dans nos contrées, si vous passez par Nola (ou New York, puisque les soirées commencent à s’exporter), vous savez ce qu’il vous reste à faire !

Katey Redwww.myspace.com/kateyred
Big Freediawww.myspace.com/bigfreedia
Sissy Nobbywww.myspace.com/sissynobbyy

Crédits photos : XLR8R & Cheryl Gerber



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